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Lorsque je rouvris les yeux, ce ne fut ni sur une lumière aveuglante, pas plus que sur une obscurité inquiétante, mais bel et bien sur une luminosité tout à fait correcte. Néanmoins, il me fallut quelques secondes avant d'y voir un peu moins flou.
C'est en voulant frotter mes mirettes que je découvris que cela m'était impossible, étant donné qu'une corde reliait étroitement mes deux poignets au dossier d'une chaise sur laquelle j'étais installé. De même pour mes gambettes. Au fond, cela n'avait rien d'étonnant de se retrouver attaché ainsi après avoir été assommé. C'était même d'un cliché affligeant. Et peu agréable, il fallait le dire ; j'ignorai depuis combien de temps m'était infligée une telle posture, mais je sentais déjà la morsure des liens dans ma peau soyeuse.
Ma vision ayant retrouvé toute sa netteté, je pu constater avec perplexité que je me trouvais toujours dans mon appartement. Bon. Au moins étais-je en terrain connu, même si cela ne représentait aucun avantage dans la présente situation.
Je lâchai un grognement courroucé, auquel il fut répondu :
- Hé, enfin sorti des vapes ?
- … Que le que gneh, marmottai-je tout en plissant les yeux et détaillant la pièce, sans obtenir plus d'éclaircissements.
- Derrière toi, triple buse...
- Oh ! Samil' ? C'est bien toi ?! Attends, comment tu veux que je regarde derrière moi alors que je suis saucissonné de partout ?
- Hum, il est vrai, mes excuses.
- …
- …
- Bon, y s'passe quoi ? Avant de me faire exploser l'arrière du crâne, il me semble bien que je t'ai vu inconscient et tout aussi ligoté à une chaise que moi ?
- Tout à fait.
- Et... tout aussi paumé que moi ?
- Exactement. À vrai dire, au travers des brumes de l'incompréhension je comptais régulièrement sur un sauvetage de ta part, mais visiblement ton encombrante tignasse s'est révélée bien inutile, si elle n'est même pas capable d'amortir les chocs.
- Hé, oh, elle perd de son efficacité quand elle est trempée comme ça, c'est tout ! Et puis on en cause, de l'andouille qui se fait enlever en plein milieu d'une salle de ciné ?!
- Alors là, je me dois d'apporter des précisions afin de rétablir mon honneur : on ne m'a point enlevé à la vue de tout le monde. J'ai été attiré, de la façon la plus lâche possible, dans une ruelle attenante et déserte, avant d'être assommé et visiblement traîné jusqu'à chez toi.
- Attiré avec quoi ?
- … C'est embarrassant. Je préfère taire cette information.
Un soupir exagéré s'échappa de mes lèvres. Connaissant -trop bien- mon ami, on l'avait sans nul doute appâté avec des stickers de haricots, une photo d'orque, ou n'importe quelle babiole du style. Il n'était pas bien difficile d'être renseigné sur les passions dévorantes de Samil', et son incapacité à résister à quoi que ce soit en rapport avec l'une d'entre elles.
- Dis, tu sais si on est tout seuls, là ?
- Il semblerait. J'ai émergé il y a peu, et n'ai point vu âme qui vive.
- Hm. C'est chelou.
Je commençais à me trémousser d'impatience sur ma chaise : non seulement, on nous faisait louper notre tant attendue séance de cinéma, mais en plus on s'en prenait à mon meilleur ami, puis à moi, et dans mon PROPRE appartement ! Et pour finir, on nous laissait poireauter là, étroitement liés à du mobilier ?! Scandaleux. D'autant plus qu'il ne s'agissait vraiment pas des chaises les plus confortables de mon logement, au fond j'étais certain que notre (ou nos ? ) agresseur l'avait fait exprès.
- Peut-être sont-ils allés aux toilettes, comme toi, théorisa Samilduerg dans mon dos. Après tout, c'est le genre de besoin naturel auquel personne ne peut résister.
- Aux toilettes ? m'étranglai-je alors. Dans MES toilettes ?!! Alors ça ! J'aimerais bien voir ça, tiens !!! C'est hors de question !
- Cesse de t'agiter ainsi, me prévint Samil', si tu continues, tu risques de-
Un grand -VLAM- le coupa, alors que je m'étalai sur le flanc comme un gâteau au démoulage lamentablement raté.
Je laissai échapper un couinement de douleur lorsque celle-ci explosa dans mon pauvre bras gauche, qui avait encaissé tout le poids de mon corps. Et de la chaise. Qui, en plus d'être inconfortable, était également lourde. Et diablement laide. En fait, je n'avais même pas la moindre idée de ce qui avait bien pu me pousser à la garder chez moi jusque-là. Sans doute une sorte de pitié mobilière. Une chose était sûre : une fois Samil' et moi tirés de là, ces chaises filaient direct aux Puces.
- Osthinse, ça va ?
- Hahaha ! À merveille !!! Excellent ! Ça te dit qu'on s'ouvre une bouteille de Limenth, pour parfaire la soirée ?
- Calme-toi, allons. Tu vas finir par te blesser dans ta confusion, tenta de tempérer Samil'.
- C'est toi, la confusion !!! Mes bornes sont franchies, ça suffit !
Dans un élan rageur et plutôt irréfléchi, j'entrepris alors un début de reptation, lente, très lente, en direction des toilettes. Si la personne qui nous avait foutu dans cette situation était effectivement en train de...
Je m'interrompis, sentant soudain un objet coincé entre mon corps et le sol. Cela semblait se trouver dans l'une des poches de mon manteau.
- Oh ! Le Topinambour ! Bordel de queue !
- Plaît-il ? s'enquit Samilduerg, qui n'avait pas renoncé à tenter de comprendre mes agissements.
- J'ai reçu mon Topinambour Enchanté, tout à l'heure ! On peut s'en servir pour se sortir de là !
- Vraiment ?
- Vraiment ! Voyons... Si je me tortille suffisamment de cette façon, pour le faire sortir de ma poche... Aïe ! Pfff... Ah ! Voilà !
Le tubercule roula gentiment sur le parquet avant de s'immobiliser à mes côtés, sans rien faire de plus. Lui adressant un regard implorant, je m'apprêtais à proférer les mots magiques permettant de l'activer, lorsque la porte d'entrée s'ouvrit soudain à la volée.
- MA PORTE !!! gueulai-je, passablement agacé du taux record de non-gênés en si peu de temps.
- Osthinse ?! Mais que fabriquez-vous ainsi au sol ?!
Oooh, ma concierge préférée.
En cet instant, je la préférais plus encore qu'à l'accoutumée, ce qui n'était pas peu dire.
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