• 05 - Des silences à la pelle

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    Nos propos venaient de se croiser à la perfection, débouchant sur un silence analytique et embarrassé, le temps que chacun d'entre nous percute ce qu'il venait d'entendre de la part des autres. Puisque je suis sympa, je vous retranscris tout cela :

     

    Moi (toujours au sol, me tortillonnant: - Excellent ! Nous v'là libres !!! Déligottez-nous vite !

    Samilduerg : - Oh tiens, rebonjour à vous, Dame.

    La Concierge (exaspérée par mes cris) : - Vous allez vous calmer, un peu ?!

     

    Le calme s'était donc effectivement fait, probablement pour la plus grande joie de notre amie qui détestait l'agitation vaine et bruyante, ce qui se comprenait tout à fait. Étant moi-même d'une nature exubérante, il m'arrivait quelques fois de me laisser emporter dans l'ivresse d'une idée quelconque et d'alors franchir ses limites... ce qu'elle ne manquait pas de venir me rappeler en gravissant furieusement les escaliers, peu importait l'heure.

     

    En l’occurrence, j'en étais très heureux puisqu'elle allait pouvoir nous tirer de là. Avec émotion, je me promis d'être un peu moins sonore, à l'avenir.

     

     

    Cependant, il me semblait bien être passé à côté de quelque chose durant les dernières secondes qui venaient de s'écouler. Un détail, une miette dérangeante... qui se révéla soudain, provoquant un frisson glacé le long de mon échine mollassonne.

     

    ''Rebonjour'' ?!

     

    … Ne m'avait-elle pourtant pas dit n'avoir pas croisé Samil' ?

    Non, mais, ça ne veut absolument rien dire, tentai-je de me convaincre tout en ayant déjà accepté l'évidente vérité : constituée de petits morceaux qui venaient de s'imbriquer parfaitement, elle était appuyée lourdement par le simple fait que depuis son arrivée, la concierge n'avait pas ébauché le moindre geste afin de nous libérer . Au contraire, elle s'était contentée de me contourner afin de ramasser le Topinambour, qu'elle observait à présent d'un air songeur.

     

    Je m'éclaircis faiblement la gorge :

    - Dites, hem... Je... je suis pas en retard sur le paiement du loyer, hein ? Et j'ai été calme ces derniers temps, non ?

    Un silence pesant fut son unique réponse. Décidément.

     

    Sans me laisser démonter, j’enchaînai :

    - Non mais, je suis confus, là, je crois pas avoir fait de truc qui justifie de m'assaillir et séquestrer, si ? Et encore moins Samil' ?! Enfin, si, c'est l'appât idéal pour moi, mais c'est un peu scandaleux quand même ! Je pige pas, en plus on s'est toujours bien entendus vous et moi, vous m'avez appris des trucs de plantes et moi de musique, on a même fait une ratatouille ensemble une fois c'était très sympa-

    - LA FERME, OSTHINSE !!!

     

    Ouch. Comme si on venait de faire claquer un fouet dans la pièce, je me tus aussitôt.

     

    À la façon dont elle jaugeait le Topinambour depuis tout à l'heure, je devinai que ce ridicule tubercule devait être la cause de tout ces agissements inhabituels. Mais si elle le voulait tant, il lui suffisait de garder le colis pour elle, pourquoi diable me l'avoir remis ? Et tout ce plan à base d'enlèvements et de coups sur le crâne ?!

    Il restait des recoins d'ombres sur tout cette situation, que je m'efforçai de comprendre seul puisque notre assaillante ne daignait visiblement pas sortir de ses propres pensées pour le moment, et encore moins en être tirée à coup de questions mitraillées.

     

    - Est-il vrai, Osthinse, que suis l'appât idéal pour toi ? s'enquit alors Samil' d'une voix naïve, jugeant apparemment le moment adéquat pour ce genre de question.

     

    N'osant ouvrir la bouche, de peur de me faire cogner par mon ex-concierge préférée si je proférais un mot de plus, je me contentai de fulminer intérieurement. Mais quel ramassis de... de n'importe quoi ! Quelle était cette aventure dans laquelle nous nous retrouvions embringués là ?! Et Sam' qui ne trouvait rien de mieux à faire que de relever un propos embarrassant que j'avais lâché sans réfléchir, comme si nous étions tous gentiment en train de prendre le thé ! Considérée dans sa globalité, cette histoire était vraiment stupide, j'espérais bien en filer le plus possible.

     

    Les pieds de la concierge entrèrent dans mon champ de vision.

    - Bon, Osthinse.

    Glrps.

    Elle s'accroupit pour être plus proche, et en devint d'autant plus menaçante. Il était très étrange de voir une différence aussi abyssale entre la concierge que je connaissais (enfin, croyait connaître, visiblement) et la personne qui se penchait à présent sur moi.

    - Il va falloir se montrer coopératif. Je ne vais pas y aller par mille détours.

    - Heu... O-oui ? Qu'est-ce qu'il vous faut ? balbutiai-je.

    - L'activation de ce Topinambour.

     

    Oh. Une pièce du puzzle en plus.

    Effectivement, seul le propriétaire légitime d'un Topinambour Enchanté pouvait l'activer pour sa toute première utilisation, le faisant ainsi passer d'un simple tubercule aux couleurs chatoyantes, à un artefact magique aux propriétés étonnantes. Une fois activé, cependant, n'importe qui était en mesure de s'en servir, sous réserve de savoir s'en servir.

    Mais tout de même, les Topinambours Enchantés ne constituant pas une denrée rarissime, l'attitude de notre agresseuse n'était toujours pas justifiée. Je décidai de jouer les effrontés, dans l'espoir d'en apprendre un peu plus.

     

    - Vous avez qu'à vous commander le vôtre, je vois pas pourquoi je vous laisserais vous servir du mien, surtout après un traitement pareil !

     

    Un énième silence suivit ma déclaration. Malheureusement, c'était un silence de type glacial et implacable, qui ne souffrait aucune explication venue d'en face, et gela toute envie supplémentaire de rébellion de ma part.

     

     

    La concierge se releva, puis me releva à mon tour avec une aisance outrageante, et me fit pivoter de façon à ce que je puisse voir Samilduerg. Qui, lui, me tournait le dos. Je n'aimais pas bien la direction que tout ceci prenait. En général, ce genre de gestes et positionnements débouchait sur la torture de l'être cher. Je commençai à n'en mener vraiment pas large ; les solutions que j'envisageais depuis le début me claquaient toutes la porte au nez une par une... et on ne pouvait pas dire qu'il y en eût pléthore à la base, étant donné que c'était la première fois que me retrouvais dans un merdier pareil.

     

    Mon regard affolé se porta sur le dos de Samil'. Puis sur ce que cette vile concierge venait de tirer de derrière le canapé.

    - Ma tête d'orque ! glapit Sam' avec un trémolo de joie dans la voix.

     

    La concierge lui adressa en retour un sourire qui n'augurait, à mon avis, rien de bon ; puis elle fit un second aller-retour vers le canapé, et en revint avec une mallette métallique qui, elle aussi, n'augurait rien de bon du tout. Elle la déposa sur une table branlante, à côté de la tête d'orque et du Topinambour, et s'installa à son tour tranquillement, nous faisant face telle, à elle toute seule, un jury de concours d'entrée dans une école d'arts.

     

    ''Sklik'' fit la mallette à l'ouverture. Un son sec, et tout aussi chaleureux que l'ambiance qui régnait en maîtresse dans mon pauvre appartement.

     

    À l'intérieur étincelaient une multitude d’ustensiles, qui semblait résulter du mélange inquiétant entre un tiroir de cuisine, une boîte à outils, et la sacoche d'un chirurgien véreux.

    - Ma tête d'orque ! couina Sam' avec un trémolo de terreur dans la voix.

     

    Un silence.

     

    Elle s'appliquait à porter son choix sur un premier ustensile.

    Samil' gémissait doucement en imaginant sans doute ce qu'allait subir son trésor.

    Et une solution, plus coopérative que les autres, consentit alors à m'ouvrir sa porte.

     

     


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